Haute-Pierre by Patrick Cauvin

Haute-Pierre by Patrick Cauvin

Author:Patrick Cauvin [Cauvin, Patrick]
Language: eng
Format: epub, mobi
Tags: Roman
Publisher: Albin Michel
Published: 2011-07-20T05:48:32+00:00


RIEN.

Cela ne signifiait strictement rien. Les chiffres avaient pu être tracés après, ou avant, pour fixer une date, un souvenir, ils pouvaient n’avoir aucun rapport avec la mort de Gascon. De quoi pouvait-on mourir en 1792 ? Bien des gens mouraient à vingt-sept ans à cette époque : la guillotine ou la petite vérole, une épidémie, une grippe mal soignée, une saignée trop forte… Et, pendant qu’il agonisait, un crétin dans le souterrain sculptait la date de l’année où il avait eu son premier fils ou bécoté sa première bergère.

Non. Pas en latin.

Le type qui avait gravé cette date n’était ni un ouvrier ni un paysan, il aurait écrit 1792 tout simplement… Penser à autre chose.

Novembre.

Le vent qui se levait râpait les herbes grises avec un bruit de limaille. Il venait du nord, longeait les bords du fleuve et soufflait sur la colline de Haute-Pierre une haleine mouillée et sableuse… Tout sentait l’eau morte et terreuse. De la fenêtre de son bureau, Marc pouvait voir sur le ciel de papier sale la danse pâle des orties d’aluminium… La musique de l’hiver commençait, aigre et ferreuse, coupée du cri d’un corbeau décollant d’un orme du parc…

Peut-être ne tiendrait-il pas une année… A la Noël, tout changerait, des amis viendraient, ils referaient des fêtes, les cadeaux, les jouets du gosse, tout prendrait une autre dimension, ils feraient des feux dans chaque cheminée… mais il restait deux mois, pour l’instant il fallait supporter ce silence froid et sévère… L’été était peuplé de rumeurs, les oiseaux de l’aube, les mouches de midi, les grillons de la nuit, mais à présent tout s’était tu, les sons s’étaient enfuis avec les couleurs.

Le travail n’avançait pas. Il avait demandé un nouveau délai il savait que cela ne servirait à rien. L’histoire qu’il devait raconter lui paraissait soudain par trop stupide, des êtres sans consistance se mouvaient uniquement pour donner naissance à des bagarres, à des baisers, à des poursuites, et menaient à cent à l’heure une vie idiote. Il lui semblait étrange de ne pas s’en être aperçu avant.

Les nuits devenaient glaciales, pâles et profondes sous la lune, chaque herbe prenait la couleur mortelle d’un fil de rasoir… Dans la salle des gardes, Andréa avait installé ses poupées et ses échantillons de tissus, elle avait recommencé à travailler… Ils mangeaient tous les trois dans la cuisine des soupes épaisses qu’elle laissait mijoter plusieurs heures, à la paysanne… De tout leur poids, les pièces vides de la maison pesaient… Il avait pensé meubler rapidement, mais depuis l’automne il n’avait plus eu envie de courir les antiquaires et les salles des ventes… Il n’allait même plus chez Fléchard, le village semblait d’ailleurs vidé par les premiers frimas et un silence plus compact s’était installé, la terre s’était figée, plus de forces dans les choses et les plantes. Il allait de plus en plus rarement dans le parc pour éviter de voir les tourelles dressées sur le ciel malade, un ciel grippé et blafard qui cernait Haute-Pierre.

Gascon, Doullon, Pontieu, Morlon.



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